Lorsque la porte de la classe s'ouvrit, le frère supérieur poussa un garçon aux courts cheveux noirs devant lui. Celui-ci nous dit qu'il s'appelait Gilles, qu'il fallait être gentils avec notre nouveau petit camarade et qu'il arrivait d'ailleurs. En fait, il venait d'un village si éloigné qu'aucun d'entre nous le connaissait.
Au fil des ans, Gilles se révéla être un « bolé ». Toujours premier de classe, toujours à lire dans un coin, toujours dans « la lune ». Il avait lu tous les livres de la petite bibliothèque du Collège Jésus-Adolescent avant sa sixième année. Les enseignantes avaient l'habitude de le mettre à l'arrière de la classe, là où il pouvait lire ou griffonner sans déranger le reste de la classe.
Avec les années, nous étions devenus bons amis et nous nous échangions des livres à l'occasion. Un matin d'été, après avoir servi la messe et reçu notre dix sous du vicaire, Gilles se mit en frais de m'expliquer le fonctionnement de la bombe atomique dont on parlait tant à la télévision. C'était très simple à fabriquer semblait-il. Un petite manipulation, un petit mélange et un truc pour faire détonner le tout. Je me rappelle lui avoir demandé s'il avait essayé d'en fabriquer une. Il m'avait répondu que oui mais que ce qui avait arrêté son bricolage, c'étaient les quantités des ingrédients nécessaires au mélange. Il s'en serait voulu de faire sauter la maison paternelle. Je crois sincèrement que cette journée là, Saint-Germain l'a échappé belle.
Pendant notre adolescence, nous avions formé avec des amis une petite organisation vouée au développement d'activités pour les jeunes. Tennis, soirées de danse, ciné-club, équipe de hockey ou de crosse, tout était publicisé dans un petit journal du nom de L'Indiscret. Gilles et moi en étions les rédacteurs et les imprimeurs. Les stencils prêts, il fallait se rendre chez le vicaire au presbytère et en faire l'impression sur une vieille et bruyante Gestetner. Mais un jour, cette dernière rendit son dernier soupir alors que nous débutions tout juste le travail. Profitant de l'absence du bon vicaire, mon copain s'est empressé de démonter le monstre en deux temps trois mouvements, « pour le réparer » qu'il disait. Autant mon désespoir était grand à la vue de toutes les pièces jonchant le sol, autant mon copain avait du plaisir à mélanger ces mêmes pièces avant de les remonter sur le châssis de l'appareil. Quarante-cinq minutes plus tard et sept morceaux en trop, la vieille machine imprimait à nouveau. La manivelle tournait cependant beaucoup plus facilement et le schlick-kata-schlak d'enfer caractéristique de l'appareil avait disparu. Inutile d'ajouter que nous avons quitté précipitamment dès la fin de notre travail d'impression, en espérant que le vicaire croirait à un petit miracle mécanique obtenu par nos prières.
Quelques années d'étude plus tard, nous nous sommes retrouvés par hasard sous la tour de l'Université de Montréal. Gilles jouait aux échecs avec des amis. Il était déçu du peu qu'on lui enseignait dans ses cours. Alors que j'en étais à m'initier aux mystères du langage informatique, il en avait déjà percé tous les secrets. D'ailleurs, on le pressait d'aller décoincer un programme défectueux dans l'ordinateur central, un jeu pour lui, le seul qui le retenait encore dans la grande Université.
Vers la fin du siècle
dernier, alors que je visitais un petit village loyaliste des Cantons de
l'Est, je revis le père de Gilles. Le vieil homme disait ne voir
que très rarement son fils. Ce dernier travaillait maintenant pour
les plus grandes compagnies de télécommunications. Le plaisir
de Gilles était toujours de dépanner les super systèmes
informatiques et il voyageait sans cesse d'un pays à l'autre en
quête du grand bogue. Il était devenu le spécialiste,
le grand sorcier venu d'ailleurs.
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