Normand Grandmont en avait assez cette fois. Il allait remonter en Canada pour régler cette histoire de fantômes une fois pour toutes. Il venait tout juste de recevoir une nouvelle lettre de plainte d'un de ses anciens voisins de Saint-Germain et ça le mettait en rogne. Le soir venu, il prépara sa valise et le lendemain, il monta dans la voiture de son beau-frère Victor pour se rendre à la gare d'Holyoke, Massachusetts, et de là, il gagna Saint-Germain.
Le voyage était long et chemin faisant, il se rappela tout ce qu'on lui avait conté sur cette maison avant qu'il ne l'achète. Des esprits malins s'en étaient emparé et la vie était devenue vite insupportable pour ses anciens propriétaires. C'est pourquoi on lui avait vendu à très bon prix. De son côté, ces histoires de peur le faisaient rire et son petit salaire de fromager ne lui donnait pas le choix. Il voulait s'établir et fonder une famille. Sa femme Laura par contre n'était pas rassurée. Les rumeurs étaient persistantes dans tout le voisinage du chemin de Maska.
Une fois installés, il y avait bien eu quelques bruits bizarres à la cave mais rien pour faire fuir un Grandmont. C'est la crise économique qui l'obligea à quitter sa demeure en 1923 et à s'exiler aux États. Il fallait bien nourrir les enfants. Alors il avait vendu les animaux de ferme pour payer le voyage et avait loué sa terre à Israël Leclerc. Une fois là-bas, il avait troqué la charrue pour le coffre de menuisier.
Puis les plaintes s'étaient mises à affluer. D'abord par le biais des lettres de la parenté puis par des lettres des voisins. Certains disaient avoir vu un fantôme au dessus de la route devant la maison. Les chevaux partaient en peur à chaque fois. D'autres parlaient de lumières aux fenêtres barricadées à la hâte ou encore de sifflements bizarres. Et là, en ce premier avril, devant les dernières montagnes américaines encore enneigées, il se demandait ce qu'il allait bien faire pour ce débarrasser de ces esprits.
Arrivé à Saint-Germain, il se rendit chez son beau-frère Eugène pour loger. Et c'est là qu'il apprit la bonne nouvelle. Le fantôme et les esprits malins avaient été pris sur le fait. Le fils de son locataire, Israël Leclerc, et ses amis étaient les auteurs de ces blagues. Ils installaient des câbles entre une des cheminées de la maison et les grand ormes qui bordaient le côté opposé de la route. Et la nuit venue, lorsque les passants revenaient du village, les gailurons promenaient un bonhomme de paille très haut au-dessus de la route grâce à un système ingénieux de poulies. Avec le bruit des cordes et le pendu empaillé volant, les chevaux paniquaient, au grand plaisir des garnements.
Le lendemain, au lever du soleil, Grandmont fit le tour de sa propriété puis rencontra Israël Leclerc. Les deux hommes eurent une longue discussion puis ils se serrèrent la main. Grandmont visita toute sa parenté pour avoir les dernières nouvelles et reprit le train à destination des États-Unis dans les jours qui suivirent. Le journal La Parole fit mention de sa visite dans son édition du 7 avril 1927. Enfin la famille Grandmont revint au pays quelques années plus tard. Le travail de la terre reprit. On coupa les grands ormes. Les mariages des enfants se succédèrent, le patriarche décéda et on oublia ces histoires de peur.
Puis le 26 janvier 1967, mystérieusement, la maison disparût dans les flammes emportant avec elle en quelques minutes toute l'histoire de cette famille Grandmont. Aujourd'hui, plus rien n'indique l'emplacement de la maison. La route a été élargie et le coteau de "galais" noir où elle était située a été nivelé.
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